Catholicisme, devoir de mémoire et patrimoine religieux au Québec

Publié le 2 décembre 2013

Par Catherine Foisy, professeure au département des sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM)[1]

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Dans la conclusion du volume Le Québec après Bouchard-Taylor. Les identités religieuses de l’immigration, Louis Rousseau remarque qu’« Au moment où commence à se laisser deviner une ‘‘exculturation’’ du catholicisme au sein des modes de penser et des pratiques communes à la génération qui accède à l’âge adulte[2], il s’impose d’établir un rapport patrimonial avec la dimension religieuse de la tradition socioculturelle particulière du Québec. Ce terme désigne un certain type de rapport à cet héritage qui transforme les ‘‘faits historiques’’ en matériaux choisis pour la construction actuelle d’une identité collective signifiante. Il s’agit donc d’une opération continue de tri dans la mémoire commune disponible de la société, d’attention à certaines références et souvent de rejet ou d’oubli de certaines autres, ces nouvelles mises en relation du passé avec la construction de l’avenir pour répondre adéquatement au défi du passage du temps[3]. » Ainsi, je me demande si l’on conserve actuellement le patrimoine religieux pour les bonnes raisons et surtout, en étant bien conscient de ce que représentent les divers éléments symboliques, rituels, cultuels auxquels nous avons à faire… Cela se veut l’horizon de mon questionnement, spécialement dans une société qui est appelée à se pluraliser davantage du point de vue religieux.

Arrière-plan socio-académique

J’ai été formée en science politique et en sociologie, mes travaux portent principalement sur la mémoire des missionnaires catholiques québécois contemporains ayant été actifs au cours du XXe siècle en Asie, en Afrique et en Amérique latine. J’ai développé une méthodologie mixte faisant la part large aux sources orales sans vouloir toutefois nier l’apport des archives à notre compréhension des rôles culturel, politique, social et religieux du catholicisme au Québec tel qu’il se présente à nous. Je suis donc tout naturellement plus portée vers la dimension immatérielle du patrimoine religieux, d’autant qu’il me semble être demeuré, plus de six ans après le dépôt du rapport de 2006 Croire au patrimoine religieux du Québec et malgré le travail monumental effectué à l’Université Laval à travers l’Inventaire du patrimoine immatériel religieux (IPIR), le parent pauvre de nos choix collectifs en matière de patrimoine religieux[4]. Je vais revenir à cet aspect dans la deuxième partie de mon intervention en m’attardant aux archives ecclésiastiques que je connais mieux, particulièrement celles des congrégations religieuses.

Sur le patrimoine religieux immobilier

La seule question qui était indiquée dans le programme de cette soirée, «Le devoir de mémoire impose-t-il des balises à la conservation du patrimoine religieux dans le développement du territoire?», mériterait une réflexion approfondie que je ne puis faire en quinze minutes. J’aimerais vous montrer deux images car je crois qu’elles illustrent très bien le type de questions que nous devrions nous poser comme société par rapport à notre patrimoine religieux, mais aussi parce qu’une image peut frapper l’imaginaire, nous rappelant là une dimension constitutive du patrimoine religieux comme ayant trait aux symboles, aux pratiques rituelles et cultuelles ainsi qu’au sens qui se trouve contenu jusque dans les aspects bien matériels des mobiliers et immeubles religieux. L’une, est tirée d’un cahier spécial maison intitulé « Ma vie dans une église » paru dans La Presse du 13 mai 2013 et l’autre est un dessin de l’église Saint-Jean-Baptiste de Québec d’un petit garçon de 7 ans, à l’époque de la commission sur le patrimoine religieux du Québec, repris dans le rapport Croire au patrimoine religieux du Québec publié en 2006.

Dessin extrait du rapport Croire au patrimoine religieux du Québec, 2006, p. 4.

Ces deux images contrastantes d’une même réalité me semblent renvoyer à l’un des premiers constats que l’on peut faire de la réception de cette nouvelle préoccupation sociale qu’est la conservation, la mise en valeur et la transmission de ce vaste et riche patrimoine religieux : son caractère pour le moins éclaté! En effet, dans le domaine proprement immobilier, on observe des objectifs et des utilisations très différentes, voire carrément opposées, être poursuivies par des acteurs dont la diversité est également impressionnante! Tantôt vecteur de développement touristique ou culturel régional et, par la même occasion, économique, élément de distinction sociale pour ceux qui s’engagent, à titre personnel, dans la rénovation et l’adaptation d’un tel bâtiment, lieux de mémoire d’une époque révolue dont la préservation et la mise en valeur rendent visible la trace de l’un des horizons de sens qui fonde, jusqu’à notre présence ici ce soir, tant le catholicisme a nourri la vision de plusieurs pionnières et pionniers du Québec et pétri nos diverses institutions publiques, reconversions de bâtiments en lieux significatifs pour des communautés locales isolées et menacées de disparition ou pour des offres locales de services communautaires divers. Bref, les modalités et formes qu’ont prises la conservation et mise en valeur d’espaces religieux varient énormément. Je n’ai encore évoqué ni le patrimoine archivistique ni mobilier ou immatériel. Depuis 2006, l’IPIR (Université Laval) a mené une série d’enquêtes orales, des colloques dont celui de 2011 de la Société canadienne d’histoire de l’Église catholique (SCHÉC) fut tenu au Musée de la civilisation de Québec[5], la Fondation devenue Conseil du patrimoine religieux du Québec a poursuivi son travail, notamment d’inventorier et de hiérarchiser les divers lieux de culte et ensembles conventuels (plus récemment de 1945 à 1975 – dernier bulletin) du point de vue de leur valeur patrimoniale et architecturale. Le Conseil travaille également étroitement avec les municipalités et les institutions régionales en vue du développement de partenariats visant une prise en charge par les milieux locaux et régionaux, avec l’appui de la province, du patrimoine religieux. Toutes ces initiatives découlent et sont conformes aux diverses recommandations contenues dans le rapport Croire au patrimoine religieux du Québec de 2006.

La situation des archives ecclésiastiques

J’aimerais maintenant aborder la question des archives ecclésiastiques parce qu’elle a été peu traitée et qu’elle mérite toute notre attention puisqu’une clef de connaissance essentielle du catholicisme québécois s’y trouve et qu’il y a, notamment du point de vue des archives paroissiales et diocésaines, urgence en la demeure. Dans le cas des congrégations religieuses, vu la transformation à laquelle on assiste actuellement quant à la provenance du personnel religieux, il y a tout lieu de penser que les archives ne demeureront pas nécessairement au Québec, ce qui représenterait un méchant casse-tête pour ceux et celles qui s’intéressent à l’histoire de ces instituts et conséquemment, un enjeu quant à la possibilité de maintenir et d’approfondir une connaissance qui s’est vue réinvestie par les chercheurs québécois, tant historiens qu’anthropologues, sociologues, théologiens et religiologues depuis une décennie.

Bien que leur statut juridique soit privé, compte tenu de la centralité des archives ecclésiastiques pour comprendre l’histoire globale du Québec depuis ses origines françaises, la valeur patrimoniale collective et publique de celles-ci doit être pleinement reconnue, ce qui tarde à se faire, les outils pécuniaires ainsi que les ressources humaines étant peu au rendez-vous. Par exemple, « sur les dix-neuf diocèses existants, seuls quatorze services avaient classé leurs archives en 1992 et que 58 pour cent d’entre eux ne possédaient pas d’inventaire utilisable. Cette situation s’explique notamment par le fait que la majorité des diocèses n’ont longtemps pas eu d’archiviste attitré. Actuellement, à peine la moitié d’entre eux emploient un personnel qualifié, ce qui participe à la précarité de la situation des archives diocésaines (AAQ 2005, 8)[6]. » La situation est pire du point de vue des paroisses où 618 (57 pour cent) sont laissées sans prêtre résident. Imaginez-vous l’état des archives! Dans le cas des archives de congrégations, le personnel est plutôt âgé. Dans tous les cas, les centres d’archives religieuses ne fournissent habituellement pas à la demande des chercheurs ou ne le font que de manière incomplète. De plus, au sein même de l’Église catholique québécoise, certains gestionnaires ecclésiastiques montrent une certaine méfiance face aux institutions publiques concernant leurs archives. Or, si les chercheurs ne peuvent avoir accès aux outils pour faire connaître divers aspects du catholicisme québécois, comment pourra-t-on développer des clefs de lecture pertinentes des bâtiments, des monuments et des objets que nous avons protégés?

Conclusion

Peu de réponses, mais des questions pour terminer et, je dirais, lancer le débat… Il me semble qu’il faudrait être en mesure de répondre à ce type de questions, valables pour tout type de matériau s’inscrivant dans le domaine du patrimoine religieux : de quoi veut-on se souvenir, pour quelles raisons et au nom de quoi, pour qui et pour quel(s) projet(s)? En ce sens, tous les projets, pris du point de vue de leur portée sociale et collective, se valent-ils surtout lorsque l’on parle de bâtiments, d’objets, de pratiques, de rituels qui ont, souvent, une valeur et une portée communautaires? Quels principes et valeurs devraient guider notre agir, spécialement dans un contexte où les enjeux relatifs à la diversité religieuse demeurent présents et que l’épineuse question de la laïcité n’est pas réglée? Quel doit être le rôle des institutions religieuses dans ce travail? Ne devrait-il pas y avoir d’échanges, de collaborations entre les institutions religieuses de diverses traditions? Comment travailler un patrimoine religieux dont la mémoire est aussi, comme dans le cas des rapports entre les congrégations religieuses et les peuples autochtones, profondément douloureuse et blessée?

Pour en savoir plus

MEUNIER, E.-Martin, Jean-François LANIEL et Jean-Christophe DEMERS. « Permanence et recomposition de la ‘’religion culturelle’’. Aperçu socio-historique du catholicisme québécois (1970-2005) ». Dans MANGER, Robert et Serge CANTIN, dir. Religion et modernité au Québec. Québec, Presses de l’Université Laval, 2010, p. 79-128.

PAPINEAU-ARCHAMBAULT, Véronic. Les archives religieuses au Québec : gestion, conservation et diffusion du patrimoine culturel. Travail réalisé dans le cadre du cours SCI6111–Politique de gestion des archives, École de bibliothéconomie et de sciences de l’information (EBSI), Université de Montréal, 2011, 17 p.

ROUSSEAU, Louis, dir. Le Québec après Bouchard-Taylor. Les identités religieuses de l’immigration. Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, 393 p.


[1] L’auteure était chercheure postdoctorale au Centre for the Study of World Christianity à l’Université d’Édimbourg au moment de l’intervention de laquelle est tirée ce texte. Elle est maintenant professeure au département de sciences des religions de l’UQÀM. On peut la rejoindre à cette adresse : foisy.catherine@uqam.ca.

[2] E.-Martin Meunier, Jean-François Laniel et Jean-Christophe Demers, « Permanence et recomposition de la ‘’religion culturelle’’. Aperçu socio-historique du catholicisme québécois (1970-2005) », dans Robert Manger et Serge Cantin, dir., Religion et modernité au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2010, p. 115-126.

[3] Louis Rousseau, dir., Le Québec après Bouchard-Taylor. Les identités religieuses de l’immigration, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 379.

[4] Comme l’indique Véronic Papineau-Archambault : «Ainsi, le soutien à la restauration du patrimoine religieux a accordé, entre 1995 et 2005, 135 millions de dollars pour la restauration des biens immobiliers et mobiliers de l’Église au Québec, mais les archives n’ont rien reçu de ce montant (AAQ 2005, p. 5). De plus, bien que deux programmes d’Archives nationales s’appliquent en théorie aux archives religieuses, le Soutien aux archives privées et le Soutien à la mise en valeur des archives, les revenus sont dérisoires. Ainsi, on estime que les services d’archives religieuses ont reçu chacun en moyenne environ 32 000 dollars de ces programmes depuis 1995, ce qui ne couvre même pas le salaire d’un archiviste détenant un diplôme de premier cycle pour un an (AAQ 2005, p. 6).» Véronic Papineau-Archambault, Les archives religieuses au Québec : gestion, conservation et diffusion du patrimoine culturel, travail réalisé dans le cadre du cours SCI6111–Politique de gestion des archives, École de bibliothéconomie et de sciences de l’information (EBSI), Université de Montréal, 2011, p. 12.

[5] 78e colloque de la SCHÉC, Par-delà les pierres. Le patrimoine matériel et immatériel des communautés religieuses, 24 et 25 septembre 2011.

[6] Véronic Papineau-Archambault, Les archives religieuses…, p. 5.