Pour une histoire totale… et culturelle*

Publié le 29 août 2011

Alex Tremblay

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Marc Bloch

L’idée n’a  rien de nouveau. Déjà, au début du XXe siècle Marc Bloch et Lucien Febvre plaidaient pour une histoire totale, une histoire sortant de l’événementiel qui saurait permettre une compréhension globale d’une époque. Il importait que l’histoire soit  aussi sociale et économique, et non plus seulement politico-militaire. Or, je soutiens qu’il ne faut pas seulement s’en tenir à ces dimensions, mais bien élargir les champs d’action de l’historien.

Ainsi, pour décrire une réalité historique, il importe d’en appréhender notamment ses arts et sa littérature. Peut-on vraiment saisir parfaitement l’essence — ou du moins l’esprit — du Second Empire français sans avoir entendu Offenbach? Est-il possible de comprendre pleinement une époque sans plonger dans sa littérature? Peut-on étudier le XIXe siècle sans lire Hugo, Dumas et Zola, sans jeter un œil aux toiles de Bouguereau, Courbet et Monet? Plus que les reflets de leurs temps, ces œuvres constituent les réalités dans lesquelles vivaient les Hommes d’alors.

Bien sûr, la majorité de ces créations connurent une diffusion somme toute très limitée – même les romans feuilletons se révèlent n’être l’apanage que d’une classe instruite ayant les moyens de s’offrir un abonnement à un journal. C’est pourquoi il convient non pas de s’intéresser uniquement aux grands noms que l’histoire a retenus, mais bien aussi à la culture populaire, au quotidien du peuple. Ainsi, pour pleinement comprendre ses réalités, il ne convient pas seulement de s’intéresser aux mouvements syndicaux, rébellions et autres manifestations populaires, mais également à ses coutumes, aux danses paysannes, à la musique de tradition orale ou encore aux contes et légendes. C’est ainsi que l’on peut appréhender dans ses ramifications la vie d’une société et ramener l’histoire à une actualité palpable.

Jean Provencher

Il y a quelques semaines, j’assistais à la conférence L’hiver à Québec en 1900 de Jean Provencher qui constitue un bon exemple à cet égard. Au cours de celle-ci, le conférencier nous fit part des résultats d’un sondage réalisé par Le Soleil au début du XXe siècle. Le journal cherchait à savoir de quelle musique ses lecteurs souhaitaient qu’on leur parle. Bien que l’échantillon ne soit pas assez important pour tirer des conclusions, les réponses montrent bien certaines tendances, certains goûts. Ainsi, on demande « quelque chose de religieux », « une jolie valse », un morceau de la pianiste Chaminade ou encore l’air « Il grandira, car il est Espagnol » de l’opérette La Périchole d’Offenbach. Bien loin de se confiner aux goûts musicaux, Provencher a également insisté sur les sports et divertissements auxquels s’adonnait la population de Québec, sur les différentes fêtes marquant la saison hivernale ainsi que sur les traditions qui avaient cours à cette époque.

L’histoire culturelle permet donc de saisir pleinement l’essence d’une société. La négliger, c’est se contenter d’une vue incomplète d’une époque. Si on accorde aujourd’hui beaucoup plus d’attention à cette perspective de l’histoire comme en témoignent les chapitres consacrés à ce sujet dans les plus récents manuels d’histoire, il convient de poursuivre les travaux engagés en ce sens.

*Publié sur HistoireCanada.ca