« Vaccinations – Le mythe du refus » : recension

Publié le 28 novembre 2019

Par Philippe Thompson-Leduc, pharmacoépidémiologiste dans le secteur privé

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Si la politique et la religion sont depuis toujours considérées comme des sujets à éviter en présence d’inconnu.e.s, la vaccination universelle semble doucement se frayer un chemin dans la liste de ces sujets polarisants, voire tabous. Des histoires d’horreur sur les effets secondaires des vaccins font fréquemment la première page des journaux et créent un sentiment de panique et de méfiance dans la population. Lorsqu’on ne parle pas de leur inefficacité[1] ou de leurs ratés logistiques[2], on y va d’histoires sensationnalistes destinées à remettre en cause les bienfaits de la vaccination.

Pensons notamment à l’histoire de David Salamone, décédé en 2018 au jeune âge de 28 ans de la polio qu’il avait contractée à la suite d’un vaccin oral reçu à l’âge de 4 mois et qui l’a incapacité toute sa vie[3]. Cette histoire tragique est d’autant plus scandaleuse lorsqu’on apprend qu’une alternative au vaccin oral était disponible et plus sécuritaire, mais qu’elle n’a pas été privilégiée pour des raisons de coûts[4]. Confrontée à plusieurs sources d’informations souvent contradictoires, la population (et, plus particulièrement, les jeunes parents) est forcée de considérer et d’évaluer les risques et les bénéfices liés la vaccination. Il serait « moral » ou « immoral » de faire vacciner son enfant… et les opinions sont plutôt campées.

Approchant cette question avec une perspective historienne, Laurence Monnais tente de décrire les facteurs scientifiques, historiques et sociaux qui contribuent à cet inconfort quant à la vaccination universelle dans son récent livre Vaccinations : Le mythe du refus. Afin d’y parvenir, Monnais se penche sur l’épidémie de rougeole qui a sévi au Québec en 1989 et en décline minutieusement l’histoire afin d’y voir plus clair.

Le choix de cette épidémie est bien réfléchi. D’abord, l’épidémie de rougeole de 1989 survient avant l’arrivée d’internet et de ses forums, blogues santé et autres sections de commentaires publiques. Ces tribunes accessibles à tous et à toutes sont un véhicule de choix pour la propagande anti-vaccination[5]. Ensuite, 1989 arrive avant l’article tragiquement célèbre d’Andrew Wakefield (en 1998) qui établissait (faussement) un lien entre le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (le « RRO ») ainsi que l’autisme[6].

Si l’internet n’avait pas encore influé sur les mécanismes décisionnels des parents et que la littérature scientifique n’avait pas été polluée par cette recherche frauduleuse, aurait-on dû s’attendre à un taux de vaccination de 100% chez les enfants d’âge scolaire en 1989? Et si tous les enfants étaient vaccinés, comment expliquer l’éclosion d’une épidémie de rougeole au Québec? Le taux sous-optimal de couverture vaccinale[7] est-il vraiment un phénomène récent?

Structuré en six chapitres, Vaccinations : Le mythe du refus répond à ces questions de manière multifactorielle.

Le premier chapitre traite de l’épidémie qui débute en décembre 1988, atteint un pic en mai et se résorbe en août 1989. Monnais décrit la tendance mondiale de la rougeole cette année-là, les différences observées dans l’incidence des cas selon les régions administratives et la distribution démographique des patient.e.s. Elle y traite aussi du phénomène des « échecs vaccinaux », c’est-à-dire la déclaration d’une maladie chez une personne préalablement vaccinée[8]. En effet, jusqu’à 80 % des cas de rougeole recensés lors de l’épidémie de 1989 l’auraient été auprès de patient.e.s préalablement vacciné.e.s.

C’est au deuxième chapitre qu’on en apprend plus sur la raison de ces insuccès vaccinaux. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agirait, entre autres, d’un calendrier vaccinal inadéquat (des vaccins donnés trop tôt) et de variations dans le type de produits (et leur efficacité) disponibles et administrés par les autorités québécoises. L’auteure fait ici un excellent travail en différenciant les concepts de vaccination et d’immunisation, car ce n’est pas parce qu’on a reçu un vaccin qu’on est nécessairement protégé. Le deuxième chapitre relate aussi l’histoire des différents types et les marques de vaccins anti-rougeole, ce qui aide à comprendre les complexités et les enjeux liés à l’approvisionnement et à la technologie.

Le chapitre suivant met en lumière les failles d’un système de santé publique en pleine transformation dans les années 1970. Le désir pragmatique de centralisation des services (et, notamment, des achats de vaccins pour la province) va à l’encontre de l’idée des services de proximité à l’origine des CLSC. Les tâches et les responsabilités de chaque palier de services ne sont pas reflétées dans les ressources attribuées à chacun, créant ainsi un accès inégal de la population à la vaccination.

C’est au quatrième chapitre que le refus populationnel à la vaccination est étayé de façon plus soutenue. Monnais présente Paul-Émile Chèvrefils, médecin et défenseur de la chiropraxie et de la naturopathie. Chèvrefils, dont le discours est adopté et amplifié par la Ligue pour le vaccin libre, dénonce les vaccins qu’il juge inutiles, voire nocifs. Le propos anti-vaccinal s’inscrit ici dans une redéfinition du nouvel homme québécois (« sain, consommant des produits frais, évitant les médicaments, libre, en somme »), auquel se joint la pensée indépendantiste. La santé – ou, devrait-on dire, les choix de santé – est ainsi utilisée comme mécanisme d’affirmation personnelle et politique. Durant la même période, on assiste au Québec à l’effritement de la confiance de la population envers les vaccins, propulsé par une série d’accidents (incident Cutter en 1955, vaccin Sabin en 1963, vaccin DCT en 1974)[9].

La perspective féministe joue aussi un rôle. À cette époque, de nombreuses femmes québécoises s’identifient au mouvement naturiste de santé infantile. Le rejet du paternalisme médical s’inscrit ainsi dans une réappropriation et une affirmation de leur droit de contrôler les décisions de santé qui les concernent et qui concernent leurs enfants.

Les enjeux réactualisés de nos jours concernant la pertinence de la vaccination sont abordés dans le cinquième chapitre. Monnais commente et décrit la fin de la croyance aveugle, voire dogmatique, des Québécois.es envers les bienfaits des vaccins. Au-delà de leurs effets néfastes potentiels, leur pertinence est remise en question. Si le risque d’une maladie tombe en deçà des risques associés à sa prévention par le vaccin, devrait-on continuer de promouvoir la vaccination? Du côté pharmaceutique, on mise sur les conséquences délétères (rares, mais très sérieuses) d’une maladie évitable par la vaccination. Du côté naturiste, on insiste plutôt sur les conséquences néfastes de la vaccination (aussi très rares, aussi très sérieuses). Cette exacerbation des conséquences extrêmes (mais – encore une fois – très rares) de chacune de ces options crée un sentiment de confusion chez les Québécois.es.

Coupable de vacciner, et coupable de ne pas vacciner, l’État québécois (tout comme ses citoyen.ne.s) se voit devant un dilemme. L’épidémie de méningite de 1991 est citée en exemple des tensions qui accompagnent l’examen des campagnes de vaccination de masse (qu’elles soient scientifiques, épidémiologiques, sociales ou économiques). L’examen coûts-bénéfices, ou avantages-risques, est délicat. Finalement, le dernier chapitre parle de l’après-‘89 et du questionnement général de nombreuses personnes quant aux bénéfices nets réels de la vaccination de masse.

L’ouvrage de Laurence Monnais répond adéquatement à son objectif. C’est-à-dire, d’adopter une vision multifactorielle des évènements historiques et scientifiques qui contribuent au scepticisme de certain.e.s quant aux bienfaits de la vaccination. Le cas de la rougeole de 1989 est d’autant plus intéressant qu’il est arrivé il y a 30 ans, à une époque à l’abri de la désinformation véhiculée sur internet et du scandale Wakefield. Le livre est ainsi efficace dans sa présentation des raisons individuelles qui mènent à la réticence aux vaccins.

Si le livre est fort intéressant d’un point de vue historique, il ne faudrait pas qu’il suscite une inquiétude généralisée du lectorat quant aux bénéfices individuels et collectifs de la vaccination de masse. L’auteure est claire dès l’introduction de son appréciation (de la plupart) des vaccins. Elle l’est aussi quant à son désir de nuancer le discours unidirectionnel en faveur de la vaccination. Or, cette nuance peut facilement servir à entacher la réputation des programmes de vaccination. Nuancer les bienfaits vient aussi remettre en question les motifs ouvertement pécuniaires de la vaccination chez plusieurs compagnies pharmaceutiques. 

Chez certaines personnes, les vaccins sont associés à des risques de réactions allergiques graves, des crises de convulsions, des pneumonies et des méningites[10]. Ces risques, bien réels, doivent toutefois être mesurés à leurs bénéfices. L’histoire accablante de David Salamone, par exemple, résulte d’une mutation d’un virus affaibli vers sa version plus forte – ce qui arrive une fois sur 2,4 millions[11]. Avant de clamer que les vaccins causent la polio, une dose de relativité s’impose – c’est là la difficulté de devoir prendre des décisions sociétales basées sur des données probabilistes.

Il aurait été intéressant que l’auteure traite du « refus vaccinal » contemporain. Le lectorat comprend bien, à la suite de leur lecture, que le scepticisme vaccinal n’est pas le fruit unique de l’ère ultra-connectée d’internet. Par contre, le mouvement anti-vaccinal est toujours d’actualité, et les différences et similitudes contextuelles avec 1989 auraient ajouté au contenu du livre[12].

En conclusion, Vaccinations – Le mythe du refus traite avec efficacité des multiples facettes qui ont contribué à un taux d’immunisation sous-optimal au Québec dans les années 70 et 80, ce qui a très certainement contribué à l’épidémie de rougeole de 1989. Si le mouvement anti-vaccinal était présent à l’époque, il l’est certainement encore aujourd’hui. L’approche historienne employée par Monnais pourra sans doute convaincre de sa complexité.


[1] A. Lacoursière, « Vaccination contre la grippe : un taux d’efficacité de 0 % », La Presse (2015); G. Rail, L. Molino, L. et A. Lippman, « Appel urgent à un moratoire sur la vaccination contre les VPH ». Le Devoir (2015).

[2] M. Perreault, « Les ratés d’un vaccin causent une épidémie aux Philippines ». La Presse (2019); C. Plante, « Cafouillage autour de la vaccination gratuite ». La Presse (2018); A. Caillou, « Un vaccin contre la coqueluche gratuit, mais d’accès limité ». Le Devoir (2019); A. Daoust-Boisvert, « Grippe : accès réduit au vaccin gratuit ». Le Devoir (2018).

[3] M. Schudel, « David Salamone, who contracted polio from vaccine and helped spur changes in U.S. immunization policy, dies at 28 ». The Washington Post (2018).

[4] Ibid.; Voir C. J. Howe et R. B. Johnston, dir., Options for Poliomyelitis Vaccination in the United States: Workshop Summary, 1996.

[5] Z. Meleo-Erwin, C. Basch, S. A. MacLean, C. Scheibner et V. Cadorett, « « To each his own »: Discussions of vaccine decision-making in top parenting blogs », Hum Vaccin Immunother, 13, 1895-1901, doi:10.1080/21645515.2017.1321182, 2017.

[6] A. J. Wakefield et al, « Ileal-lymphoid-nodular hyperplasia, non-specific colitis, and pervasive developmental disorder in children », Lancet, 351, 637-641, doi:10.1016/s0140-6736(97)11096-0, 1998.

[7] C’est-à-dire, un taux de vaccination en deçà du seuil nécessaire à la prévention d’une épidémie.

[8] U. Heininger et al, « The concept of vaccination failure », Vaccine, 30, 1265-1268, doi:10.1016/j.vaccine.2011.12.048, 2012.

[9] L’incident Cutter est ainsi nommé du nom d’un laboratoire qui, en 1955, a distribué 200 000 doses d’un vaccin contre la polio contenant une souche vivante du virus, qui a causé 40 000 infections et plusieurs décès. En 1963, le vaccin Sabin fut associé à quatre cas de paralysie. En 1974, la composante « coqueluche » du vaccin DCT fut la cause de dizaines de cas problèmes neurologiques graves. (p 157)

[10] M. A. Maglione, et al, « Safety of vaccines used for routine immunization of U.S. children: a systematic review », Pediatrics, 134, 325-337, doi:10.1542/peds.2014-1079, 2014.

[11]Z. Canestra, Infected with Polio from the Polio Vaccine: How Could This Happen?, 2018, en ligne : https://blogs.unimelb.edu.au/sciencecommunication/2018/10/13/infected-with-polio-from-the-polio-vaccine-how-could-this-happen/.

[12] F. Pandolfi et al, « The Importance of Complying with Vaccination Protocols in Developed Countries: « Anti-Vax » Hysteria and the Spread of Severe Preventable Diseases », Curr Med Chem, 25, 6070-6081, doi:10.2174/0929867325666180518072730, 2018; J. Hoffman, « How Anti-Vaccine Sentiment Took Hold in the United States », The New York Times, 2019; A. Hussain, S. Ali, M. Ahmed et S. Hussain, « The Anti-vaccination Movement: A Regression in Modern Medicine », Cureus, 10, e2919, doi:10.7759/cureus.2919, 2018.