Par Emmy Bois, étudiante à la maîtrise en histoire[1], Université Laval
*** Introduction au projet dans lequel s’inscrit ce texte ***
Du 19 au 21 février 2020, l’Association étudiante de deuxième et troisième cycle du département des sciences historiques de l’Université Laval (Artefact) a tenu la vingtième édition de son colloque étudiant annuel. Célébrer les vingt ans d’un tel événement est certes une source de fierté institutionnelle, mais pose également plusieurs défis. En effet, on ne peut nier les transformations qu’ont connu les sciences historiques depuis le tournant du XXIe siècle. Écrit-on encore l’Histoire de la même manière qu’il y a vingt ans? Comment faire pour que cette XXe édition se renouvelle et continue de générer l’intérêt chez la communauté étudiante? Pour le comité organisateur, cette édition du Colloque Artefact se devait de refléter le changement et de questionner la manière dont sont construites les sciences historiques. Ainsi, la thématique que nous avons retenue, « Ancrages, engagements et subjectivités : les conditions d’un regard sur le passé », vient de notre conviction profonde que la chercheuse ou le chercheur en sciences historiques n’est pas neutre devant son objet d’étude. Ce que nous voulions à travers cet événement était justement de (re)lancer une discussion sur cette subjectivité inhérente, de forcer étudiant.e.s à se questionner sur leur propres biais et angles morts en recherche.
Pour Joan W. Scott, les historien.e.s analysent des fragments du passé, ses échos : «Echoes are delayed returns of sounds; they are incomplete reproductions, usually giving back only the final fragments of a phrase. An echo spans large gaps of space […] and time […], but it also creates gaps of meaning and intelligibility ». La recherche est un travail de traces, celles dont on dispose et celles dont on ne dispose pas. Elle argue ainsi que la vision du chercheur ou de la chercheuse n’est jamais complète, toujours biaisée par la perception qu’il ou elle a des échos qui lui parviennent de son objet d’étude. Cette perception, pour Scott et pour bien d’autres théoricien.ne.s des sciences historiques, est conditionnée par la posture du chercheur ou de la chercheuse, indissociable de son ancrage dans le présent. Nous avons donc invité les chercheuses et chercheurs étudiant.e.s à questionner leur propre engagement envers leur sujet d’étude et la façon dont leur ancrage dans le présent influe sur leur manière d’aborder divers sujets historiques.
Bien que l’imposition de ce thème tranche en quelque sorte avec les éditions passées du Colloque Artefact en embrassant davantage une réflexion épistémologique, elles et ils ont été nombreux.ses à répondre à notre appel et à relever le défi que nous avions lancé. Toujours soucieuses d’incarner dans notre organisation les aspects les plus actuels et novateurs des sciences historiques, nous voulions aussi transformer la manière dont les Actes de colloque sont diffusés, afin de les rendre plus vivants et de poursuivre les réflexions entamées lors de l’événement de février dernier. La mission d’Histoire Engagée rejoignant celle que nous nous étions données, ce partenariat nous a semblé être la réponse parfaite à nos préoccupations. Les textes qui sont ici diffusés sont donc issus de communications étudiantes présentées dans le cadre du XXe Colloque Artefact et adaptées pour leur publication sur HistoireEngagée.ca. Nous espérons qu’en diffusant sur cette plateforme, nous pourrons donner une deuxième vie à ces présentations et étendre la portée de notre projet au-delà de l’événement de l’hiver dernier.
Cet assemblage de quatre textes couvre divers aspects de l’histoire récente (XIXe et XXe siècle). Certains sujets de recherche sont nés des préoccupations de leur auteur.e pour des enjeux contemporains. C’est le cas de l’article de Catherine Dumont-Lévesque intitulé «Les prescriptions normatives sur la sexualité féminine dans les pages du magazine Filles d’Aujourd’hui : déconstruction d’un discours tenace» qui prend racine dans les questionnements actuels concernant la sexualité féminine, ou encore celui de Jérémie Rose, «Dans l’intérêt de la nation : la convergence culturelle comme pilier du discours nationaliste québécois, de Lévesque à Legault», qui interroge le rapport du nationalisme québécois à la diversité culturelle d’hier à aujourd’hui. Tablant davantage sur des enjeux mémoriels, le texte de Sarah Lacasse se penche sur le traitement littéraire du massacre du Persil à Haïti en 1937. Quant à elle, Emmy Bois propose plutôt une réflexion sur l’introduction des jeunes chercheurs et chercheuses aux travails avec les archives religieuses. Si cet échantillon ne présente qu’une partie des réflexions qui eurent lieu lors du Colloque Artefact de l’hiver dernier, il n’en témoigne pas moi de l’engouement et de la pertinence d’une histoire engagée pour les jeunes chercheurs et chercheuses diplômé.e.s.
Marie-Laurence Raby
Coordonnatrice du XXe Colloque Artefact
*** Fin de l’introduction ***
À l’automne 2019, je me suis inscrite à mon premier séminaire de maîtrise : Régulations, transferts et adaptations : les services sociaux au Québec-Canada. Mon travail de recherche portait sur la gestion d’une école de réforme, soit l’école de réforme de l’Hospice Saint-Joseph-de-la-Délivrance, située à Lévis et gérée par les Sœurs de la Charité de Québec[1]. De son ouverture en 1883 jusqu’à son démantèlement en 1911, l’hospice accueille un flot discontinu de garçons jugés « délinquants » [2]. Administrée par l’Église catholique, cette initiative tire racine dans la mise sur pied, en 1869, d’un réseau provincial d’institutions confessionnelles, en réponse notamment à l’augmentation des problèmes de délinquance juvénile et de vagabondage[3].
J’ai pris goût du travail dans les archives dès le baccalauréat. Dans le cadre de séminaires de premier cycle, l’opportunité de travailler sur des documents d’archives de toutes sortes – lire ici, la chance puisque ce ne sont pas tous les séminaires qui le permettent – m’a été offerte. Or, jamais encore, je n’avais eu l’occasion – ou l’ambition peut-être – de m’attarder sur des archives religieuses, moi qui me suis toujours sentie un peu étrangère – voire inexpérimentée – face à ce type de sources. Ce séminaire fut donc pour moi l’occasion de m’y initier et de me questionner sur le malaise que je ressentais au contact des archives.
En effet, j’ai compris que mon malaise dans l’analyse d’archives religieuses concernait moins le contenu de ces documents que mes aptitudes à les interpréter de la bonne façon. Si le christianisme – et plus largement, l’étude des religions – ont toujours piqué ma curiosité, je ne m’y étais jamais assez intéressée pour dépasser le stade de « connaissances générales ». Face aux archives religieuses, je craignais donc de ne pas être en mesure de saisir toute leur essence et toutes leurs subtilités. Dans le cadre de ce séminaire, je me suis confrontée à mon inconfort – certainement né d’un manque d’expérience et de connaissances sur le sujet – et je l’ai utilisé afin de parfaire mes aptitudes de chercheure.
Les archives des Sœurs de la Charité de Québec : l’accès aux sources
Lors du choix de mon sujet, j’avais déjà une bonne idée des sources que je voulais exploiter. Je désirais consulter la correspondance des Sœurs de la Charité de l’Hospice Saint-Joseph-de-la-Délivrance afin d’observer, notamment, la réaction des Sœurs aux amendements apportés à l’Acte concernant les écoles de réforme – lesquels modifiaient les critères d’admission en institution et affectaient la portion du financement étatique et municipal aux communautés religieuses. Une fois imprégnée de la correspondance, je me disais que je pourrais sans doute me pencher sur les registres d’admissions et de sorties de l’Hospice afin d’étudier la fréquentation de l’école de réforme.
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