Par M. Morad BKHAIT, candidat au doctorat en sciences des religions, UQÀM, département de sciences des religions
Introduction
Depuis les soulèvements arabes de 2011 et la croissance de la population musulmane en Europe, une nouvelle classe sociale musulmane et des habitudes de consommation émergent. En effet, cette classe sociale bénéficie d’un plus grand pouvoir d’achat grâce à l’accès des jeunes générations à des emplois qualifiés et mieux rémunérés (comparés aux premières générations). Ceci a ouvert la voie à un nouveau commerce à l’international : le tourisme halal. Cette tendance, encore peu exploitée en France, est devenue ailleurs dans le monde l’une des activités les plus rentables dans le secteur du tourisme. On l’explique avec un accroissement des croyant.es soucieux.ses de pratiquer assidûment leur religion, l’islam, à travers le monde en respectant des normes établies en majeure partie par les traditions prophétiques de Mahomet (hadiths). Du moyen de transport aux activités proposées par l’hôtel, toutes sont examinées minutieusement pour les vacances halals.
Le concept du halal qualifie aujourd’hui une action dans l’acception marchande du terme. Employé pour la consommation de viande égorgée en accord avec la loi islamique, le halal étend le cadre de la licéité et de ses limites à plusieurs actions quotidiennes des musulman.es.
Le «halal» vient de l’arabe, qui signifie « permis », « licite ». Un acte est qualifié de licite dès lors qu’il ne pèse sur lui aucune prohibition islamique formelle. Dans les manuels de droit musulman, halal (licite) correspond à une des cinq catégories de l’action (avec l’illicite, l’obligatoire, le recommandé, le réprouvé). La racine de halal produit aussi son antonyme le haram (traduit par illicite, mais aussi sacré). Pour cela, le mot dépasse donc le cadre simpliste de la nourriture. Il inclut les interdits sexuels, ceux liés à l’espace sacré comme La Mecque, la chasse, la finance et la guerre pendant les quatre mois sacrés du calendrier musulman. Le concept est initialement issu de certains versets du Coran (en Sourate 2, verset 168 ou Sourate 5, verset 88 [Hamidullah, 1963).
Halal, retour sur un terme et une pratique équivoque :
Concernant l’espace alimentaire des musulman.es, il consiste jusque dans les années 80 à l’application du verset suivant : » Vous sont permises, aujourd’hui, les bonnes nourritures. Vous est permise la nourriture des Gens du Livre, et votre nourriture leur est permise. » (Sourate 5, 5). Ainsi les nourritures purifiées des « Gens du Livre » – c’est-à-dire généralement les Juifs et les chrétiens –sont permises aux musulman.es, à l’exception du porc.
Avec la diaspora formée à travers l’immigration du milieu du XXe siècle en France, la communauté musulmane va progressivement faire référence à un islam en décalage avec les pratiques du pays d’origine, un islam largement fantasmé. En effet, en l’absence d’institutions reconnues dans les affaires religieuses, les pratiques et les rituels chez les immigrées sont davantage basés sur des notions rudimentaires de la religion, mais aussi sur un référentiel hybride. L’enquête de Traoré (2015) avance que « la religion acquière une plus grande importance pour les migrants, les institutions religieuses jouant un rôle de soutien spirituel et affectif pour ces derniers qui étaient déjà religieux notamment dans leurs pays d’origine[1] ».
La principale cause d’immigration en France a longtemps été l’immigration économique. Elle est due au besoin français de main-d’œuvre depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à une période récente. Nous pouvons aussi mentionner les décolonisations et l’élargissement des communautés culturelles et religieuses dans le paysage français. Initialement gouvernés comme des individus en transit, ou de séjour temporaire sur le territoire, le regroupement familial en 1970 permet de rassembler des foyers en France ou de régulariser des mineurs. Ainsi, les générations suivantes participent en tant que citoyens français aux mutations sociales, politiques et religieuses du pays. Le décloisonnement des minorités et les pratiques de groupes religieux minoritaires commencent à questionner les pouvoirs publics.
De ce fait, nous savons que les primo-arrivants, par la qualité provisoire de leur résidence en France s’affranchissaient de plusieurs pratiques (jeûne du mois sacré de Ramadan compris). Le regroupement familial instauré dans les années 70, combiné aux nouvelles générations de musulman.es français.es, développera une identité spécifique à cette diaspora, parfois reconnue ni par le pays d’origine ni par le pays d’accueil. Dans les années 90, ce sont les chaines satellitaires de langue arabe et les ouvrages issus des centres de diffusion du Golfe qui feront élargir l’orthopraxie (ce qui est en conformité avec les rites prescrits) des musulman.es à l’étranger et par la même occasion élargir l’électorat de l’islamisme politique.