Utiliser la littérature jeunesse pour aborder les sujets sensibles en histoire : récit de pratique autour de la Shoah
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Mercier, M. (2025). Utiliser la littérature jeunesse pour aborder les sujets sensibles en histoire : récit de pratique autour de la Shoah. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=13598Chicago
Mercier Mathieu. "Utiliser la littérature jeunesse pour aborder les sujets sensibles en histoire : récit de pratique autour de la Shoah." Histoire Engagée, 2025. https://histoireengagee.ca/?p=13598.Par Mathieu Mercier, enseignant d’histoire et de géographie à l’École secondaire de Rivière-du-Loup, collaborateur au Service national du RÉCIT, domaine de l’univers social.
Enseigner l’Holocauste au secondaire est à la fois un défi et une nécessité : défi, parce que le sujet évoque des horreurs indescriptibles et des récits traumatiques qui peuvent heurter les élèves; nécessité, puisqu’un devoir de mémoire sur ce génocide peut aider à prévenir la banalisation de la haine et de l’exclusion. Pour y parvenir, la littérature jeunesse constitue un outil puissant : elle permet de mettre des visages, des voix et des récits singuliers sur une réalité historique souvent réduite à des statistiques.
Dans cet article, je propose de revenir sur mon expérience en classe de secondaire 2, à l’École secondaire de Rivière-du-Loup, où j’ai expérimenté la tâche pédagogique intitulée Privés de leurs libertés et de leurs droits civils. L’exemple des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Ce récit de pratique met en lumière l’apport de la littérature jeunesse pour aborder un sujet sensible, tout en valorisant l’agentivité des victimes. Ces dernières sont trop souvent invisibilisées par un narratif centré exclusivement sur la victimisation.
Pourquoi utiliser la littérature jeunesse en classe d’histoire?
Bien que plusieurs études démontrent que la lecture régulière améliore non seulement les compétences en lecture, mais aussi en écriture, en compréhension de texte, en vocabulaire et même en mathématiques (Nanhou, 2016), les impacts de son utilisation en histoire sont souvent négligés. En effet, la littérature jeunesse joue un rôle déterminant dans la formation des citoyens et citoyennes : elle permet d’aborder des réalités complexes telles que la guerre, le racisme ou la mort (Barguirdjian, 2019). Cela est d’autant plus nécessaire considérant les conflits actuels comme le conflit israélo-palestinien, la guerre en Ukraine ou encore les tensions persistantes à Taïwan, en Birmanie ou à Haïti.
Malgré tout, comme enseignant, il faut se questionner sur la manière d’intégrer la littérature jeunesse en classe et surtout, comment la lier au Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ). En fait, il a été très aisé de lier l’utilisation de romans graphiques et de bandes dessinées à la documentation ministérielle et aux savoirs prescrits. La tâche s’inscrit dans le domaine général de formation Vivre-ensemble et citoyenneté du PFEQ. Elle permet d’aborder la différence, l’accueil de la pluralité, le rejet de l’exclusion et la défense des droits fondamentaux. Elle est aussi directement liée à la réalité sociale La reconnaissance des libertés et des droits civils, inscrite au programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté de 2e secondaire. De plus, les repères culturels proposés pour la réalité sociale (Le compte rendu de la Conférence de Wannsee, Le camp d’Auschwitz, Mein Kampf, Les lois de Nuremberg, Le Journal d’Anne Frank, etc.) trouvent écho dans les œuvres de littérature jeunesse choisies. En outre, la tâche permet d’aborder des concepts essentiels tels que la censure, la discrimination, la dissidence, l’égalité, les libertés et les droits.
Dans le cas précis de la Shoah, les romans graphiques et les bandes dessinées offrent un triple avantage pédagogique :
- Rendre le sujet sensible accessible aux adolescent·es, en proposant des visuels porteurs de sens et un narratif favorisant l’agentivité des personnages;
- Permettre de susciter l’émotion sans tomber dans le sensationnalisme, en favorisant le développement de l’empathie historique chez l’élève;
- Présenter les réalités de la Shoah avec sobriété, sans esthétiser la violence, et en évitant toute mise en scène spectaculaire qui pourrait trahir la gravité historique des faits.
Comme le rappelle si bien le Musée de l’Holocauste Montréal, « derrière chaque ‘chiffre’ se cache une personne bien réelle qui a eu une vie avant l’Holocauste ». Et quoi de mieux pour comprendre le parcours d’une personne, ses choix, ses réflexions, ses envies, ses peurs et ses combats qu’une immersion dans sa vie à travers la lecture d’une œuvre de littérature jeunesse?
Le choix des oeuvres
Afin de tirer profit du potentiel intéressant des œuvres de littérature jeunesse pour l’enseignement de la Shoah, j’ai réalisé une recension d’œuvres littéraires abordant le sujet, bien que certaines puissent ne pas convenir à toutes et tous. Cette recension, loin d’être exhaustive, permet de mettre en lumière l’agentivité de plusieurs personnes, touchées à différents niveaux par la Shoah. En voici quelques exemples :
- Irena Sendlerowa (sauvetage de plus de 2 500 enfants du ghetto de Varsovie);
- Witold Pilecki (déportation volontaire à Auschwitz afin de documenter le système concentrationnaire et tenter de fomenter une rébellion);
- Jan et Antonina Żabiński (sauvetage et cache de centaines de Juif·ve·s dans leur zoo de Varsovie, dès l’invasion de la Pologne par les forces allemandes);
- Simone Veil (survivante du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et figure importante de la défense des droits des femmes en France);
- Ginette Kolinka (survivante du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau).
L’élève se voit donc offrir la possibilité de choisir un récit qui correspond à ses intérêts, à travers une offre de 29 œuvres de littérature jeunesse différentes. La richesse des œuvres proposées éveille sa curiosité et le fait que chacun puisse choisir une œuvre dont la trame le rejoint contribue au développement du goût à lire. Que ce soit par l’image, le sujet ou la charge émotive, l’élève est transporté dans un monde extérieur, en complète immersion dans le passé. Plus particulièrement, la force du roman graphique est qu’il propose un univers où se côtoient des images fortes et un texte soutenu. Cet aspect est apprécié des adolescent·es, surtout ceux et celles pour qui la lecture est parfois difficile, voire pénible. Il est permis de croire qu’une expérience de lecture positive, bien qu’émotive, puisse s’avérer porteuse pour l’avenir.
Cette notion de choix, sur le plan pédagogique et didactique, est nécessaire pour développer le goût d’une lecture durable. Le P.A.C.T.E de lecture proposé par Martin Lépine, professeur de didactique du français et vice-doyen à la formation et à la culture (Université de Sherbrooke), est ainsi mis en application (Choix). Les autres composantes de ce pacte sont aussi mises de l’avant, à différents niveaux :
- Partage : Les élèves sont amenés fréquemment à échanger sur leurs expériences de lecture, mais aussi sur les émotions ressenties durant ces mêmes expériences. La pluralité des acteurs permet également d’enrichir les discussions, puisque leurs expériences sont nombreuses et différentes, permettant une compréhension plus globale de la Shoah;
- Accès : Les œuvres proposées sont disponibles en version papier en plusieurs exemplaires;
- Temps : L’élève lit en classe et hors de la classe en fonction de ses besoins. Certains moments d’échanges supplémentaires sont planifiés en amont.
- Espace : Différents lieux et aménagements sont proposés à l’élève (coussins, fauteuils-poire, etc.) afin qu’il puisse être confortable et dans de bonnes conditions de lecture.
Assises didactiques et récit de pratique
La tâche, tout comme la séquence d’enseignement qui la met en action, s’appuient sur des principes reconnus (Musée de l’Holocauste Montréal) pour l’enseignement de la Shoah :
- Définir le terme Holocauste;
- Utiliser des témoignages pour personnaliser l’histoire en traduisant des statistiques en histoires personnelles;
- Replacer les événements dans leur contexte historique;
- Utiliser une terminologie précise;
- Faire la distinction entre l’histoire de la Shoah et les leçons à en tirer;
- Éviter les réponses simples à des questions historiques complexes;
- Offrir à vos élèves l’accès à des sources historiques primaires;
- Choisir du contenu écrit et visuel approprié;
- Éviter de comparer les souffrances des différents groupes;
- Montrer que l’Holocauste n’était pas inévitable;
- Éviter les simulations.
Il est aussi important d’utiliser des repères historiographiques sur la Shoah afin d’amener l’élève à comprendre les mécanismes de déshumanisation (terminologie, contexte, étapes du processus génocidaire…). Cela favorise la compréhension du processus génocidaire et permet de faire des liens avec des phénomènes qui, rappelons-le, peuvent se reproduire.
En ce qui concerne mes élèves, les étapes du processus génocidaire ont été abordées précédemment lors de la réalité sociale L’expansion du monde industriel. Durant l’enseignement de celle-ci, nous avons abordé le cas du génocide des Herero et des Nama en Namibie, à partir de la documentation de Sivane Hirsch (professeure titulaire au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval) et Sabrina Moisan (professeure titulaire au Département des sciences de l’éducation de l’Université de Sherbrooke).
La tâche pédagogique intitulée Privés de leurs libertés et de leurs droits civils. L’exemple des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale s’adresse aux élèves de 2e secondaire. Son objectif principal est de comprendre comment les Juif·ve·s ont été dépossédé·es de leurs droits civiques et libertés, tout en découvrant des trajectoires individuelles qui incarnent la mémoire de la Shoah.
Tout d’abord, j’ai contextualisé la période 1930 à 1945 à travers un enseignement magistral de deux périodes de 75 minutes, appuyant mon cours sur les frises chronologiques et les cartes du Musée de l’Holocauste Montréal. Les supports numériques de l’institution muséale permettent d’aborder la montée du nazisme, le recul de la démocratie, les lois de Nuremberg, les ghettos, la conférence de Wannsee et la Solution finale. Cette mise en contexte est nécessaire, puisqu’elle permet d’aborder de façon concrète la négation des libertés et des droits civils, telle que mentionnée dans le PFEQ. L’utilisation de sources primaires (témoignages, cartes d’identité, affiches de propagande, extraits de journaux) a également été mise en valeur à l’étape de la contextualisation, puisque ces dernières permettent d’illustrer concrètement la progressive négation des droits des Juifs en Allemagne, mais aussi dans plusieurs pays d’Europe. Rappelons que dès 1941, l’Italie, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie, la Bulgarie, la France et la Croatie avaient tous adopté une législation antijuive semblable aux lois de Nuremberg en Allemagne. Des extraits des épisodes 1 et 2 du documentaire Amour, haine et propagande ont également été utilisés afin de soutenir la contextualisation en classe, permettant aux élèves de comprendre l’impact de la propagande, le recul de la démocratie et les lois antijuives.
Les élèves doivent alors compléter des questions d’opérations intellectuelles sur la contextualisation. Ils et elles ont dû situer dans le temps la Seconde Guerre mondiale, indiquer des exemples de droits civils et des libertés qui ont été retirés aux Juif·ve·s durant les années 1930, déterminer les causes de l’exode massif des Juif·ve·s d’Allemagne, situer dans l’espace les pays européens les accueillant et situer dans le temps les étapes menant à l’instauration d’une dictature en Allemagne. Cette étape est importante, puisqu’elle permet de porter un jugement sur les connaissances et les compétences de l’élève, tout en s’assurant que celui-ci ait suffisamment de contexte pour comprendre les trames narratives présentes dans les œuvres de littérature jeunesse.
J’explique ensuite aux élèves que le devoir de mémoire réalisé en classe, à travers la lecture des œuvres, a pour objectifs :
- de reconnaître officiellement les souffrances et les injustices subies par les victimes;
- de prévenir la répétition des erreurs passées;
- de promouvoir la paix et la communication entre les peuples.
Ces objectifs, loin d’être des voeux pieux, sont le fruit de mes collaborations et de mes discussions avec Anne Marguet, anciennement coordonnatrice-éducation au Musée de l’Holocauste Montréal, avec les participant·es de la communauté de pratique Shoah et littérature jeunesse : pourquoi, comment? organisée lors de l’année scolaire 2024-2025 par École en réseau et grâce aux échanges nombreux avec les professeures Moisan et Bélanger. .
Les élèves doivent ensuite effectuer le choix de leur roman graphique ou de leur bande dessinée. Un élément fondamental de la séquence d’enseignement réside dans le fait que chaque élève choisit lui-même l’œuvre de littérature jeunesse qu’il lira, en fonction de ses intérêts et de son niveau de lecture. En sélectionnant un roman graphique ou une bande dessinée parmi une offre variée, allant du Journal d’Anne Frank à des récits biographiques comme celui de Simone Veil : l’immortelle ou Irena, l’élève devient acteur de son apprentissage. Ce pouvoir de sélection favorise l’appropriation du récit, car il ne s’agit plus seulement de lire pour l’école, mais de s’engager dans une histoire qui résonne avec ses propres sensibilités. De plus, la diversité des œuvres proposées permet d’inclure aussi les élèves qui entretiennent une relation plus difficile avec la lecture. Ainsi, ce moment de choix constitue une étape pédagogique essentielle : il instaure une dynamique de liberté dans une tâche où l’on étudie précisément la négation des libertés et des droits civils.
Deux périodes de 75 minutes ont été consacrées à la lecture, ce qui souligne l’importance de prévoir un temps scolaire dédié à l’immersion dans les œuvres. Il importe aussi que la lecture soit réalisée dans un environnement propice et sécuritaire. Dans ce cas de figure, j’ai choisi la bibliothèque. D’une part, il s’agit d’un espace où la lecture est valorisée et qui possède un environnement adapté à l’activité. D’autre part, c’est un environnement sécuritaire parce qu’il permet la circulation de l’enseignant·e, des professionnel·les et du personnel de soutien. Lors de la réalisation d’une activité touchant un sujet sensible tel que la Shoah, il est impératif de mobiliser le personnel approprié de l’équipe-école, afin qu’ils soient au courant de la démarche. Plusieurs peuvent se joindre à l’activité ou rester disponibles au besoin, considérant que l’élève développe, à différents niveaux, de l’empathie vis-à-vis des personnes présentes dans ces œuvres de littérature jeunesse.
À la fin de chacune de ces périodes, 15 minutes sont prévues afin de discuter de la lecture, de l’agentivité des personnes, de ce que les élèves ont ressenti, de ce qu’ils ont découvert, de leur compréhension de la Shoah, etc. Ces minutes sont nécessaires, puisqu’elles permettent à l’enseignant·e de faire un retour ensemble, de prendre le pouls du groupe et d’observer les élèves.
Pour clore la séquence pédagogique, les élèves doivent utiliser l’œuvre de littérature jeunesse afin d’exemplifier certains éléments de la Shoah : la spoliation des biens, la fuite et cache des Juifs, les conditions de transport, les camps de concentration, la vie après la Shoah, diminution et la négation des libertés et des droits civils, les conditions de vie dans le ghetto, camp de travail et les centres de mise à mort. Ils notent des exemples concrets dans leur cahier de l’élève. Leurs notes permettront d’animer une discussion en groupe sur la pluralité des expériences vécues lors de la Shoah. Il s’agit d’une porte grande ouverte sur la compréhension des concepts de droits civils, de liberté, de censure, de déshumanisation, de génocide, de démocratie, de dissidence, d’égalité, de répression, etc. Cette étape, presque finale, a permis d’éviter le piège d’une vision monolithique de la Shoah, en mettant en évidence la pluralité des expériences vécues. Ces échanges permettent aussi à l’enseignant·e d’aborder la question de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, qui fait directement écho à la Shoah. C’est une manière de démontrer comment l’atrocité a nourri, en quelque sorte, la construction du droit international.
Et les élèves là-dedans?
J’aurais tendance à dire que l’activité a été extrêmement appréciée des élèves. D’une part, le sujet de la Seconde Guerre mondiale est très populaire chez les adolescents, particulièrement au premier cycle du secondaire. Déjà, en septembre, je reçois des questions sur le moment où nous aborderons les conflits mondiaux. Malheureusement, le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) n’y fait pas une place suffisante pour que nous puissions, comme enseignant·es, aller en profondeur. Néanmoins, les élèves sont d’emblée intéressés lorsque je leur dis que nous aborderons la Seconde Guerre mondiale en mai, sous l’angle de la négation des libertés et des droits civils. Lors de la séquence pédagogique, j’invite mes élèves à me questionner et à poser toutes les questions qu’ils et elles ont en tête, afin d’éviter qu’il y ait des zones d’ombres dans leur compréhension de la négation des libertés,des droits civils et de la Shoah. Cette ouverture envers eux et elles leur permet de se sentir impliqué·es et écouté·es lors de l’enseignement.
Quant à la lecture, elle n’a absolument pas été rébarbative, même auprès d’élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) ou de ceux et celles dont la lecture n’est pas une pratique courante. Le choix du roman graphique ou de la bande dessinée, qui s’est échelonné sur près de 20 minutes, leur a permis de sélectionner l’ouvrage de leur choix, avec des dialogues, des images et un niveau de lecture qui correspond à leurs capacités, ce qui est motivant pour les élèves.
Le seul moment de réticence lors de la réalisation de cette séquence, plus particulièrement pendant les années scolaires 2023-2024 et 2024-2525, est apparu lorsque vient le moment d’échanger, en toute fin de période de lecture. En classe, on ressent la lourdeur de l’ambiance. Certain·es n’osent pas prendre la parole. Briser la glace est difficile à ce moment. Néanmoins, l’environnement sécuritaire et bienveillant prévu en amont fait son œuvre. Un élève prend la parole, puis une seconde et ainsi de suite. Les gorges sont serrées, les sons qui sortent de leur bouche sont faibles. On sent que la lecture en bouleverse certain·es. Les témoignages lus et racontés ont permis de briser certaines coquilles, parfois chez des élèves très « tough ». C’est alors que se délient les langues. Ce moment est nécessaire, puisqu’il n’est pas souhaitable que les élèves gardent ces émotions pour eux et elles et se referment. Évacuer ces pensées et partager un moment d’échange et d’écoute permet de comprendre que la Shoah a été vécue de manière complètement différente pour chacune des victimes et que la pluralité de ces expériences favorisent une meilleure compréhension de cette atrocité. Ce qui m’a frappé aussi, c’est d’entendre un élève dire qu’il regrettait d’avoir fait le salut nazi à quelques reprises pour blaguer depuis son entrée au secondaire. Ne pas aborder la question en classe, c’est laisser tomber une occasion de prévenir des actes ou des gestes haineux liés à une absence de connaissances et d’empathie face à des événements historiques ou des tragédies passées.
Conclusion
La séquence pédagogique menée avec mes groupes de secondaire 2 montre que la littérature jeunesse, et en particulier les romans graphiques, constitue un levier pédagogique pour aborder la Shoah. Elle permet d’articuler des savoirs historiques, la mémoire des victimes et une réflexion citoyenne, tout en rendant les élèves actifs dans leurs apprentissages par le choix de leur œuvre et par les moments d’échange. Cette approche, j’en suis certain, favorise le développement de l’empathie historique qui dépasse la simple compassion : elle permet aux élèves de s’intéresser à l’agentivité des personnes juives et non juives dans le contexte des années 1930 et 1940, à leur capacité à résister, à choisir, à agir et à témoigner.
Cependant, cette séquence exige un accompagnement soutenu. Il ne s’agit pas de substituer l’histoire par l’émotion, mais bien d’établir des liens solides entre la mémoire des survivant·es de la Shoah, sous la forme d’œuvres de littérature, avec des sources primaires et une contextualisation rigoureuse, réalisée à l’aide des ressources d’expert·es de la question. La littérature jeunesse ne peut donc être utilisée seule : elle gagne à être intégrée dans une séquence structurée où l’élève développe ses compétences historiques tout en enrichissant sa posture citoyenne. Comme le rappelle l’IHRA (2019), l’enseignement de la Shoah doit éviter les généralisations simplificatrices et s’ancrer dans une contextualisation rigoureuse, afin de rendre visible la pluralité des expériences vécues et de prévenir toute déshistoricisation.
À terme, enseigner la Shoah à travers la littérature jeunesse invite à repenser notre rapport à l’enseignement des sujets sensibles : il ne s’agit plus uniquement de transmettre des connaissances parfois difficiles à entendre, à voir ou à imaginer, mais aussi d’outiller les jeunes pour qu’ils deviennent des lecteurs critiques, des citoyen·nes sensibles aux droits humains et des passeur·euses de mémoire. Dans un monde où les tensions identitaires et les discours de haine persistent, cette démarche rappelle la responsabilité de l’école : il ne faut pas protéger les élèves du passé, mais plutôt leur donner les moyens de le comprendre pour mieux agir dans le présent.
Sources utilisées :
- Barguirdjian, M. (2019), Manifeste « On a tous besoin d’histoires », Québec, Éditions Québec Amérique.
- Guibert, N. (2021), Aborder la Shoah à travers la littérature jeunesse, Paris, INSPÉ.
- Hirsch, S., & Moisan, S. (s.d.), Étudier les génocides : Holocauste, Montréal, Musée de l’Holocauste Montréal.
- International Holocaust Remembrance Alliance (2019), Recommendations for Teaching and Learning about the Holocaust, Berlin, IHRA.
- Ministère de l’Éducation. (s.d.), Histoire et éducation à la citoyenneté. Programme de formation de l’école québécoise, Québec, Gouvernement du Québec.
- Nanhou, V. (2016), La motivation en lecture durant l’enfance et le rendement dans la langue d’enseignement à 15 ans, Québec, Institut de la statistique du Québec.
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