Par Emmanuel Prezeau, département d’histoire, Institut d’études et de recherches africaines d’Haïti (IERAH), Université d’État d’Haïti (UEH)
Considérées comme les deux ailes d’un même oiseau, les Républiques Dominicaine et d’Haïti partagent une seule île et devraient chercher des stratégies pour arriver à une cohabitation paisible et complémentaire. Séparée par un peu plus de 300 km de frontière, la République Dominicaine a un niveau de vie considérablement plus élevé que celui d’Haïti, ce qui fait d’elle l’une des premières destinations des Haïtiens.nes fuyant la pauvreté. Pour pallier ce problème de migration les dirigeants dominicains ont mis sur pied un ensemble de stratégies en vue d’empêcher l’intégration des Haïtiens.nes, et la propagation de leur culture dans la société dominicaine. Parmi ces stratégies, figure l’adoption et la publication de l’arrêt TC/0168-13 en 2013 dont le but est de dénationaliser les Dominicains d’origine haïtienne et le lancement de la construction, le 20 février 2022, d’un mur de 170km par le gouvernement dominicain le long de la frontière avec Haïti, en vue de stopper la migration clandestine des Haïtiens.nes fuyant l’insécurité et la misère. Ainsi, cet article propose de mettre en lumière le cheminement historique de l’institutionnalisation de l’anti-haïtianisme en République Dominicaine entre 1929 et 2015.
L’anti-haïtianisme a commencé à être propagé parmi les classes populaires qu’à partir de la période d’industrialisation sucrière et de la culture de la canne, au début du 20e siècle[1]. Ainsi, la propagation de l’anti-haïtianisme crée un sentiment de rejet de l’un et de l’autre peuple chez certains groupes nationalistes dans les deux républiques. Il faut noter qu’en République Dominicaine des actes racistes anti-haïtiens ont été recensés tout au long du 20e siècle, surtout après la délimitation frontalière de 1929. Ces actes de répressions racistes débutent avec le massacre des Haïtiens.nes et de certains Dominicains.nes noirs.es en octobre 1937. Notons aussi les déportations massives en violation des droits humains vers la fin des années 1990. Ainsi, en décembre 1999, les deux gouvernements ont signé un accord sur les mécanismes de rapatriement. Mais malgré cela, au début des années 2000, l’anti-haïtianisme prend une autre dimension. Durant les deux premières décennies du 21e siècle, les Dominicains.nes ont non seulement continué avec les déportations massives ne respectant pas les droits humains, mais aussi des ressortissants.es haïtiens.nes ont été victimes de violences organisées, tués.es ou chassés.es de la République Dominicaine. Puis, dans l’idée d’extrémiser de plus en plus l’anti-haïtianisme et de l’institutionnaliser, un arrêt a été soumis par la présidence dominicaine et adopté par le tribunal constitutionnel en septembre 2013, dénationalisant environ 250 000 Dominicains.nes d’origine haïtienne qui ont acquis la nationalité dominicaine depuis 1929.