L’occupation de Sir George Williams
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catégorisé, N. (2020). L’occupation de Sir George Williams. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=10047Chicago
catégorisé Non. "L’occupation de Sir George Williams." Histoire Engagée, 2020. https://histoireengagee.ca/?p=10047.Affiche par Lateef Martin
Texte par Funké Aladejebi
Traduction par Marie-Laurence Rho
Le 29 janvier 1969, près de 200 étudiant·e·s universitaires se sont barricadé·e·s dans le centre informatique du 9e étage du Henry F. Hall Building de l’université Sir George Williams à Montréal (maintenant connue comme l’université Concordia). Ce mouvement, qui a marqué le début d’une occupation de deux semaines pour protester contre le racisme, a abouti à une intervention de la police anti-émeute. Celle-ci a évacué de force les manifestant·e·s hors du bâtiment et les a arrêté·e·s le 11 février 1969. Par le temps que l’occupation de Sir George Williams (à laquelle on réfère souvent comme une « affaire » ou une « émeute ») se termine, 97 personnes, dont des étudiant·e·s noir·e·s et des étudiant·e·s blanc·he·s, avaient été arrêtées et l’université avait subi des dommages matériels s’élevant à 1 million de dollars. La manifestation et les conséquences qui en sont découlées ont créé une rupture avec le mythe d’harmonie raciale au Canada. L’occupation de Sir George Williams demeure la plus importante des occupations étudiantes de l’histoire du pays.
À l’origine, les étudiant·e·s avaient organisé cette manifestation en réponse aux allégations de racisme et de discrimination formulées par le professeur de biologie, Perry Anderson. D’abord, au printemps 1968, six étudiant·e·s caribéen·ne·s noir·e·s ont accusé Anderson de leur attribuer des notes inférieures à celles de leurs collègues blanc·he·s pour un travail comparable. À cette époque, les mesures mises en place par l’administration de l’université pour traiter des allégations de discrimination raciale étaient assez limitées. Ainsi, suite à une courte audience et à une délibération assez rapide, l’administration a rejeté les plaintes des étudiant·e·s et Anderson a aussitôt repris ses fonctions. Pour manifester leur insatisfaction face au résultat de leur démarche collective, les étudiant·e·s ont organisé un sit-in pacifique à l’intérieur du Hall Building. Les choses sont cependant devenues violentes assez rapidement. Après qu’un incendie ait été déclenché au laboratoire informatique, les policiers ont mis fin à l’occupation des étudiant·e·s.
Suite aux événements, la tension est demeurée palpable à Montréal; la population étant divisée au sujet des motivations et des implications du militantisme étudiant dans la ville. La Gendarmerie royale du Canada et les élus municipaux montréalais ont dénoncé la manifestation comme étant l’œuvre de la gauche et des étudiant·e·s étranger·ère·s radicaux. Bien que plusieurs des étudiant·e·s arrêté·e·s étaient blanc·he·s, plusieurs citoyens ont perçu ce mouvement de révolte comme le résultat d’un radicalisme noir états-unien qui s’infiltrait au Canada. D’un autre côté, ce mouvement a galvanisé la population canadienne noire à Montréal, elle-même assez diversifiée. Celle-ci a répondu à la critique et à la surveillance accrue de ses communautés en développant des organisations locales et transnationales qui prônaient une réforme du système d’éducation et qui contestaient la discrimination systémique au sein des diverses institutions canadiennes. Dans la foulée de l’occupation et des arrestations, les Noir·e·s canadien·ne·s ont créé des groupes comme la Ligue des Noirs du Québec, la National Coalition of Black Canada ainsi que des journaux locaux de la communauté noire comme Uhuru, pour lutter contre la discrimination et l’exclusion raciale au Québec et ailleurs au Canada.
Alors que l’occupation de Sir George Williams s’est produite dans le contexte de l’activisme étudiant et des mouvements de contestation qui ont pris de l’importance dans les années soixante au Canada, cet événement est le seul à travers le pays à s’inscrire également dans le militantisme noir. En tant que protestation orchestrée par des étudiant·e·s noir·e·s, cet événement a bouleversé le récit national sur l’égalité raciale et la paix. À l’époque, au Canada, le discours sur les inégalités raciales était ancré dans une critique des États-Unis. L’occupation de Sir George Williams a ainsi créé une brèche dans la façade d’innocence du Canada en matière raciale et a été partie prenante d’un changement de paradigme radical dans l’organisation des Noirs canadiens survenu à la fin des années soixante. L’organisation du Congrès des écrivains noirs qui a eu lieu à l’Université McGill en octobre 1968 s’inscrit également dans ce tournant. Contribuant à l’attention croissante portée sur l’activisme noir à l’échelle internationale, le mouvement de contestation de Sir George Williams a mis en lumière l’expérience de radicalisation et de racisme partagée à travers la diaspora africaine en incluant le Canada à ce phénomène global. Les étudiant·e·s qui ont participé à cette contestation ont marqué un tournant dans l’activisme militant noir en soulignant le besoin urgent d’égalité politique, économique et sociale pour les minorités raciales au Canada.
Texte sur l’affiche :
Le 29 janvier 1969, environ 200 étudiant·e·s de l’université Sir George Williams (maintenant Concordia) à Montréal ont occupé le laboratoire informatique de l’école pour protester contre la discrimination raciste à laquelle six étudiant·e·s antillais·e·s faisaient face. La manifestation a pris fin le 11 février lorsque la police a évacué de force et arrêté 97 étudiant·e·s. Avant d’être arrêté·e·s, les étudiant·e·s ont jeté du papier d’ordinateur et des cartes perforées par la fenêtre. S’inscrivant dans le radicalisme étudiant des années 1960, la manifestation de Sir George Williams a également reflété un activisme noir en émergence dans la ville, qui a inspiré d’autres militant·e·s à travers le pays et ailleurs dans le monde.
Biographies
Lateef Martin est fondateur de la compagnie transmédia Miscellaneum Studios, artiste multidisciplinaire et diplômé du programme Illustration & Design du Collège Dawson. Sa pratique comprend l’écriture, la composition et la performance musicales, le chant, la danse, la narration, l’illustration et la fabrication d’instruments, de costumes et d’accessoires. Au travers de Miscellaneum Studios, sa mission principale est de créer des médias inclusifs qui représentent les Noir·e·s, les peuples autochtones, les personnes de couleur, les femmes, la communauté queer, les personnes handicapées et neurodivergent·e·s sous un jour positif.
Funké Aladejebi est professeure adjointe d’histoire du genre et des femmes à l’Université du Nouveau-Brunswick. Elle travaille actuellement sur un manuscrit intitulé Girl You Better Apply to Teachers’ College’: The History of Black Women Educators in Ontario, 1940s–1980s, qui explore l’importance des femmes noires canadiennes dans le maintien de leurs communautés et la préservation d’une identité noire distincte à l’intérieur des barrières liées au genre et à la race. Elle a publié des articles dans Ontario History and Education Matters. Ses recherches portent sur l’histoire orale, l’histoire de l’éducation au Canada, la pensée féministe noire et le transnationalisme.
Note : Le GHC aimerait remercier Mathieu Murphy-Perron pour son aide avec cette affiche. Mathieu est le réalisateur de Blackout : The Concordia Computer Protests, une pièce créée pour marquer le 50e anniversaire de cette lutte importante.
Pour en savoir plus
Calliste, Agnes. “Anti-Racism Organizing and Resistance: Blacks in Urban Canada, 1940s–1970s.” In City Lives and City Forms: Critical Research and Canadian Urbanism, edited by Jon Caulfield and Linda Peake, 283–302. Toronto: University of Toronto Press, 1996.
Austin, David. Fear of a Black Nation: Race, Sex, and Security in Sixties Montreal. Toronto: Between the Lines, 2013.
Austin, David. “All Roads Led to Montreal: Black Power, the Caribbean, and the Black Radical Tradition in Canada.” The Journal of African American History 92, no. 4 (Autumn 2007): 516–539.
Martel, Marcel. “‘Riot’ at Sir George Williams: Giving Meaning to Student Dissent.” In Debating Dissent: Canada and the Sixties, edited by Lara Campbell, Dominique Clément, and Gregory S. Kealey, 97–114. Toronto: University of Toronto Press, 2012.
Mills, Sean. The Empire Within: Postcolonial Thought and Political Activism in Sixties Montreal. Montreal and Kingston: McGill-Queen’s University Press, 2010.
Ninth Floor. DVD. Directed by Mina Shum. Ottawa, ON: National Film Board of Canada, 2015.
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