Alexandre Klein, Université d’Ottawa
Il existe deux types d’histoire. D’un côté, il y a celles que l’on se raconte, le soir, entre amis.es, en famille, autour du feu, parfois de génération en génération au point qu’elles finissent par habiter notre imaginaire, construire notre réalité, définir notre identité propre. Et puis, de l’autre côté, il y a l’histoire, cette science qui, avec ses usages et ses règles, sa méthode critique et son éthique, tente de s’approcher, autant que les sources le lui permettent, de ce que les gens du passé ont vécu, perçu, compris des événements qui faisaient leur présent. Entre les deux, un abime dont le comblement peut parfois être riche, fécond, heuristique, mais d’autre fois glissant, discutable, voire contreproductif. Le récent ouvrage que Chantal Ringuet a consacré à sa grand-tante Alys Robi[1] fait malheureusement partie de cette seconde catégorie.
Pour l’amour d’une femme
L’écrivaine et traductrice québécoise, connue pour ses ouvrages sur la culture yiddish et sur Léonard Cohen, a décidé de s’éloigner de ses sujets de prédilection et de recherche académique pour se pencher sur l’histoire de celle dont sa famille ne cessait d’évoquer la figure sans pour autant oser en prononcer le nom : la fameuse chanteuse et diva[2] québécoise Alys Robi (1923-2011). Sous le titre Alys Robi a été formidable, elle propose ainsi une rétrospective, dont on ne peut dès lors douter du caractère hagiographique, retraçant les débuts, mais surtout la chute de sa célèbre aïeule. Car il y a un drame dans toute cette histoire, celui qui a conduit sa famille à taire son nom et qui anime le récit de sa petite-nièce : Alys Robi a été internée pendant cinq ans à l’Hôpital Saint-Michel-Archange de Beauport, le grand asile psychiatrique de la région de Québec, y recevant nombre d’électrochocs, mais également une lobotomie. Et c’est sur ce point que Ringuet s’attarde. Sur ce point et sur sa propre démarche.